Crise économique et mécontentement populaire : pourquoi Recep Tayyip Erdogan peut-il perdre la présidentielle en Turquie ?

Au pouvoir depuis vingt ans en Turquie, Recep Tayyip Erdogan pourrait être balayé par l’élection présidentielle dimanche 14 mai. Celui qui est surnommé “Reis” (Chef) par ses partisans est fragilisé par de multiples facteurs rendant incertain l’issue prochaine du scrutin. franceinfo vous résume en cinq points pourquoi l’autocratique “hyper président” peut perdre le pouvoir.

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Il affronte une opposition unie

Pour la première fois, Recep Tayyip Erdogan sera face à une opposition unie. Six partis se sont associés au sein de l’Alliance nationale, appelée aussi “Table des 6”, regroupant autour du Parti républicain du peuple (CHP), le Bon Parti (Iyi), le Parti de la félicité (SP), le Parti de la démocratie et du progrès (Deva), le Parti de l’avenir (GP) et le Parti démocrate (DP).

Ils ont fait de Kemal Kiliçdaroglu, le candidat chargé de défier Erdogan. Le président du Parti républicain du peuple – un parti laïc, nationaliste héritier d’Atatürk et première formation d’opposition –, est un économiste de formation qui a dirigé la sécurité sociale turque avant de se faire élire député. Il a réussi à maintenir ensemble une alliance pourtant très hétéroclite, allant du centre gauche à l’extrême droite ultranationaliste, des laïcs aux militants de l’islam politique.

On retrouve même au sein de cette alliance d’anciens ministres de l’AKP, le parti du président Erdogan. Kemal Kiliçdaroglu a aussi reçu le soutien explicite du HDP, le Parti pro-kurde, ainsi que de l’Alliance du travail et des libertés (gauche et écologistes). “Sur le papier, il a plus de 50% des voix”, commente Derya Körmücü, politologue au centre de recherches sociales Yöneylem. Le ciment de cette opposition : tourner la page de l’ère Erdogan.

La crise économique a mis le pays à genoux

Le pays est écrasé par une hyperinflation. Sur un an, la hausse des prix s’établit à 45% en avril 2023, et elle est montée à plus de 80% en octobre 2022, selon les données officielles. Les économistes indépendants, eux, chiffrent l’inflation à plus de 105% sur un an. La livre turque a dévissé et ne vaut plus qu’un cinquième de sa valeur par rapport à il y a cinq ans.

La viande est devenue un luxe. Le salaire minimum, même s’il a été doublé, ne permet plus à une famille de quatre personnes de passer le “seuil de la faim”. On ne parle même plus du seuil de pauvreté. L’opposition dénonce ces enfants qui se couchent le ventre vide. Même le prix des produits les plus basiques, comme l’oignon ou la pomme de terre, donnent le vertige aux familles turques, qui n’achètent souvent plus les fruits et légumes qu’à la pièce et non au kilo.

Le taux de chômage est passé à deux chiffres. Il frappe essentiellement les jeunes hommes (26%). Les plus pauvres se sont encore appauvris et la classe moyenne retombe dans la pauvreté dont Erdogan l’avait sortie avec une forte croissance dans ses premières années de mandat. Sa politique assez peu orthodoxe – baisser les taux d’intérêt pour favoriser la croissance – n’a fait qu’alimenter la spirale inflationniste et la dévaluation de la monnaie.

Les nouveaux électeurs et les jeunes votent contre lui

Plus de 8% du corps électoral (5,5 millions sur 64 millions d’électeurs) est formé de primo-votants. Ils sont nés sous Erdogan et, d’après toutes les enquêtes, voteront massivement pour son départ. Les moins de 30 ans (plus d’un quart de l’électorat), qui n’ont jamais connu que lui à la tête du pays, comme Premier ministre puis président, aspirent aussi majoritairement au changement. Même si le candidat de l’opposition ne soulève pas leur enthousiasme, ils voteront contre le président sortant. “Le modèle de société auquel aspirent les jeunes n’est pas celui de l’AKP du président Erdogan”, explique Derya Körmücü.

“Ils aspirent à une société moderne, à plus de liberté et de justice. Il n’y a pas besoin d’être très politisé pour sentir la pression, la censure qui pèse sur le moindre post sur les réseaux sociaux.”

Derya Körmücü, politologue

à franceinfo

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